Histoire courte : Après le dernier étage

« À demain ! » lançai-je à mon ami Max ce soir là, en sortant des cours. Je passai le portail de l’université quand des gouttes commencèrent à tomber. « Merde ! J’ai pas pris mon parapluie ! » La pluie tombait de plus en plus fort et les feuilles mortes sur le trottoir rendaient le sol glissant. Je me mis à marcher le plus vite que je pus en direction de la bouche de métro quelques rues plus loin. Malgré ma capuche, les gouttes tombaient sur mes lunettes et ma visibilité était très réduite. Sur la route, de nombreuses flaques d’eau ne tardèrent pas à se former, et le passage des voitures était souvent accompagné d’un SPLASH et d’une gerbe d’eau qui aspergeait le trottoir. J’avançais donc, esquivant les flaques et les éclaboussures autant que possible. « La météo s’est encore trompée ! » Ça arrivait de plus en plus souvent me semblait-il. Quand ils annonçaient la pluie, il faisait grand soleil et les nuages n’arrivaient pas avant le lendemain, si ils venaient, car souvent il n’y avait rien du tout. Cette fois c’était l’inverse : ils avaient annoncé la pluie pour le lendemain, pas pour ce jour-là. Et pourtant, la pluie était bien là. Était-ce dû au réchauffement climatique, ou est-ce que la météo n’avait jamais été fiable, je n’en savais rien. Toujours est-il que c’était chiant. Si c’est pour se tromper, autant pas faire de prévision, me dis-je.

Arrivé à la bouche de métro, je pus enfin souffler. « Quel temps de merde. » Après la pluie, il me fallait affronter la foule. Le métro parisien est toujours bondé à cette heure-ci, heure à laquelle la plupart des gens rentrent du boulot. Je sortis mon passe Navigo et passai le portique. Comme souvent, j’en remarquai qui passaient sans ticket. Moi, je n’avais jamais fait ça. J’avais de quoi me payer le ticket et puis, comme je devais prendre le métro régulièrement, il y aurait eu trop de risques que je finisse par tomber sur un contrôleur. J’en avais déjà vu, des contrôleurs, et je ne tenais pas du tout à me prendre une amende.

Le quai était – comme prévu – bondé. Je me mis dans un coin pour attendre le métro. Quand il arriva, tout le monde se précipita vers les portes. C’est toujours comme ça. Les gens sont tellement pressés de rentrer dans le métro qu’ils ne laissent même pas le temps aux gens à l’intérieur de sortir. Je trouve ça très con. C’est évident qu’il faut d’abord laisser sortir de manière à faire de la place pour ceux qui veulent rentrer. Mais non, ici c’est chacun pour sa pomme. Le métro était tellement plein que j’ai préféré le laisser passer pour prendre le suivant. Le suivant était juste un peu moins complet et j’ai pu me glisser dedans. Évidement pas de place assise. Non pas que j’en voulais forcément une, mais ça aurait pu être agréable d’avoir une place assise de temps en temps. Mais ça, c’était impossible un soir de semaine sur cette ligne. Après une bonne demi-heure de trajet debout, accroché à la barre, balancé par les secousses et serré de tous côté par les autres voyageurs, le train arriva à ma station.

Les portes du wagon s’ouvrirent et je dus me faufiler entre les gens pour pouvoir sortir. « Pardon ! Pardon ! » disais-je en essayant d’atteindre la sortie. Sorti du métro, il me fallait ré-affronter la pluie. J’avais espéré qu’elle s’arrête avant que je ne sorte de sous terre. C’était raté. Je me remis donc en route. Le trottoir était éclairé par les lampadaires, et heureusement, car sinon on y verrait rien. Les rues étaient désertes. Avec ce qu’il tombait, personne ne voulait rester dehors, et c’était bien compréhensible. « Vivement que j’arrive à la maison, que je puisse me faire un bon chocolat chaud. » Un chocolat chaud oui, pas un café. J’ai horreur du café. Et puis même si j’aimais le café, à cette heure-ci j’aurais peut-être évité pour pouvoir dormir ensuite. Bref, je rêvais d’un bon chocolat chaud, chez moi, à regarder la pluie tomber dehors. La pluie, moi, je l’aime bien, mais seulement quand je ne la reçoit pas sur la tête.

J’arrivai devant mon immeuble, un petit immeuble de 5 étages entouré d’immeubles bien plus grands. Je sortis ma clé et rentrai précipitamment. « Ouf ! Enfin rentré. » Épuisé et trempé, j’appelai l’ascenseur. Habituellement je préférais prendre les escaliers, surtout que je n’avais que 4 étages à monter, mais ce jour-là, je fit une exception. En attendant l’ascenseur, je nettoyai mes lunettes qui étaient toutes mouillées, au point que je n’y voyais plus grand chose. Étant très myope, mes lunettes me sont indispensables. J’ai jamais voulu essayer les lentilles. Me les poser directement sur l’œil me fait peur. Et puis je suis habitué aux lunettes. J’en porte depuis la primaire, et ça marche bien, quand il ne pleut pas. Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, je me retrouvai face à mon reflet dans le grand miroir installé au fond. Des gouttes tombaient de mes cheveux bruns qui, malgré la capuche, avaient pris un peu l’eau sur le devant, et mon manteau noir dégoulinait, une petite flaque d’eau se formant sous mes pieds. « Quel temps de merde ! »

J’appuyai sur le bouton du 4e étage. Avec une petite secousse, l’ascenseur se mit en mouvement. 1er étage, 2e, 3e, 4e… 5e ?! L’ascenseur continuait de monter. Je ré-appuyai sur le bouton du 4e mais rien à faire. « 6e ?!  Cet immeuble ne contient que 5 étages !! » Les étages continuaient de défiler et je ne savais pas quoi faire. J’appuyai sur tous les boutons. Rien à faire, l’ascenseur continuait son ascension. Il se passa de longues minutes pendant lesquelles je fixais du regard le compteur d’étages qui ne faisait qu’augmenter. Le compteur était-il juste cassé ? Mais pourquoi, dans ce cas, sentais-je l’ascenseur continuer de monter ? Que se passerait-il quand il atteindrait 99, le nombre maximal pouvant être affiché ? C’est sur ces pensées que retenti le DING indiquant l’arrêt et que les portes s’ouvrirent.

La cabine fut inondée de lumière. Ébloui, je sorti de l’ascenseur. De l’herbe tapissait le sol à perte de vue. Le soleil trônait haut dans le ciel d’un bleu intense sans aucun nuage et sa lumière me réchauffait. Il faisait beau, il faisait bon. Étais-je arrivé au dessus des nuages ? Étourdis par les événements, mon esprit était vide. Il me fallait un peu de temps pour intégrer la situation invraisemblable dans laquelle je me trouvais. Alors je retirai mon manteau et m’assis là où j’étais, sur l’herbe. Une délicieuse odeur de terre et de soleil envahit mes narines. À l’horizon apparaissaient des montagnes, majestueuses, prenant une teinte bleuté à cause de la distance. En contrebas, tâche de couleur parmi cette immensité verte, j’aperçus un village. « Mais où est-ce que j’ai atterri ? »

Après quelques minutes, je retrouvai peu à peu mes esprits et une pensée me vint : « L’ascenseur pourrait-il me ramener chez moi ? ». L’endroit était sympa, le soleil agréable, mais je voulais quand même rentrer chez moi. Pouvoir aller me servir mon chocolat chaud. Me préparer à dîner. Me coucher dans mon petit lit bien douillet. Je me retournai donc et… rien. Il n’y avait rien, si ce n’est un arbre un peu plus loin sur la droite. « Mais où est passé l’ascenseur ?!? » Je commençai à paniquer. « Comment je vais rentrer chez moi maintenant ? » Après quelques instants, je réussis à me reprendre. Je sortis mon portable et appuyai sur le bouton pour l’allumer. Rien. Ça aurait été trop facile. Je repensai alors au village que j’avais repéré au loin. « Je vais aller demander mon chemin aux habitants ! Voilà. C’est ça. Direction le village. » Je pris mon manteau et me mis en route immédiatement.

Le chemin était long. Mon front dégoulinait, non plus de pluie, mais de sueur. En approchant du village, je senti que quelque chose ne tournait pas rond. Au début c’était un sentiment vague, mais qui s’est précisé petit à petit : il n’y avait aucun bruit de vie humaine, aucun mouvement. En me rapprochant encore je m’aperçus que certaines maisons semblaient en ruine. Ici, un toit cassé, là, un mur effondré. Tout ça ne me disait rien qui vaille, et je failli repartir en sens inverse. Seule ma curiosité me fit continuer. Le temps du trajet m’avait permis de me calmer et de m’habituer à ma nouvelle situation. Après tout, ça aurait pu être pire. Il faisait beau, il faisait bon, autant profiter de l’instant présent. C’est du moins ce que je me disais avant de tourner au coin de la rue.

Devant mes yeux dormait une créature presque aussi grosse qu’une maison. Elle était recouverte de poils noirs, sauf sur ses pieds que j’avais face à moi. Ce que je voyais me faisait penser à ce film là, avec un singe géant… King Kong, c’est ça. Bon, mais je ne suis pas resté à l’admirer très longtemps. Je n’ai pas crié, j’ai plutôt lentement reculé, guettant le moindre signe de réveil de la bête. Et là, j’ai trébuché. Je n’avais pas vu le rebord du trottoir derrière moi, l’erreur ! « Ah ! » oups. Mon exclamation de surprise en tombant n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. La tête de la chose s’éleva pour regarder dans ma direction. Du coup, je confirme, la ressemblance avec King Kong était bien là. Je me relevai en vitesse et me mis à courir. Derrière moi le roi des singes poussa un cri avant de se lever à son tour pour me prendre en chasse. Je tournai à une intersection et me précipitai à l’intérieur de la première maison que je trouvai. Heureusement, la porte n’était pas fermée.

Je repris mon souffle et observai mon environnement, espérant avoir semé la créature. La maison était en bon état. Même pas beaucoup de poussière. Les habitants avaient dû l’abandonner précipitamment peu de temps auparavant. Maintenant je savais pourquoi. Sur le meuble au fond du salon, un objet brillant attira mon regard. Une bille. Vous savez, une de ces billes avec lesquels les enfants jouent dans la cours de récré. Mais cette bille avait quelque chose de spécial. Elle était très jolie. Quelque chose semblait bouger à l’intérieur. Je me rapprochai et la pris pour la mettre à hauteur d’œil. Il y avait comme une sorte de nuage dedans… La lumière dans la pièce baissa d’un coup. À la fenêtre, un immense œil me regardait. Je glissai la bille dans ma poche et fonçai dans le couloir à l’opposé de la fenêtre tandis qu’un BOOM retentissait et que le mur s’effondrait sous le coup de poing de la bête.

Je trouvai un escalier qui descendait, sûrement vers la cave, et m’y engouffrai me disant que je serais plus en sécurité sous terre. Derrière moi, j’entendais les rugissements du monstre qui tentait de m’atteindre. Je refermai la porte derrière moi et essayai de reprendre mes esprits. La cave était vide, à l’exception d’un grand miroir posé à la vertical contre le mur. Évidement, aucune issue en dehors de la porte que j’avais empruntée pour entrer. Bon, au moins le grand singe ne devrait pas être capable de m’atteindre… Si ? « Comment est-ce possible ? » murmurai-je en m’approchant du miroir. Je me vis dans mon ascenseur, comme si je regardais mon reflet dans le miroir de la cabine. Je regardai derrière moi, mais non, j’étais toujours dans la cave. Je n’eus que peu de temps pour m’émerveiller de ce phénomène, car à ce moment là, la terre trembla avec un bruit terrible. J’imagine que King Kong frappait par terre de rage de ne pouvoir m’atteindre. Quoi qu’il en soit, je perdis l’équilibre et plongeai dans le miroir. Quand je rouvris les yeux, j’étais dans l’ascenseur qui indiquait être arrivé au 4e étage. Avec un DING sonore, les portes s’ouvrirent. Je regardai derrière moi, mais seul mon reflet me faisait face.

Avais-je rêvé tout ça ? Me serais-je assoupi l’espace de quelques instants dans l’ascenseur ? Je mis ma main dans ma poche et y trouvai une petite bille. Une bille avec une sorte de nuage dedans…

FIN


C’est une histoire que j’avais imaginée au collège pour un devoir de Français. La consigne était d’inventer une histoire avec dedans un ascenseur qui ne s’arrête pas au dernier étage. J’avais eu une bonne note et le professeur m’avais soupçonné de tricherie car je n’étais pas bon en rédaction d’habitude. Alors que ma bonne note n’était dû qu’au fait que la consigne de ce devoir m’avait particulièrement plu et inspiré.

Je n’ai plus le devoir original mais l’histoire est restée dans ma tête et j’ai eu envie de la réécrire, presque 20 ans après. L’écriture n’est pas mon fort, je fais plutôt du dessin et de la musique (vous aurez remarqué les dessins que j’ai faits pour accompagner le texte), mais j’ai trouvé l’exercice agréable et envisage l’idée d’écrire d’autres histoires à l’avenir.

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